dait-elle. Il vous déteste. Il me traiterait encore plus mal, s’il savait que je vous raconte ces choses.
Elle pleurait, elle ajoutait :
— Je l’ai longtemps défendu, mais aujourd’hui je n’ai plus la force de me taire… Vous vous rappelez, lorsqu’il ne voulait pas que je misse seulement le pied dans la rue. Il m’enfermait, il usait de moi comme d’une chose. Maintenant, s’il se montre si dur, c’est qu’il voit bien que je lui ai échappé, et que je ne consentirai jamais plus à être sa bonne. C’est un homme sans religion, un égoïste, un mauvais cœur.
— Il ne te bat pas, au moins ?
— Non, mais cela viendra. Il n’en est qu’à tout me refuser. Voilà cinq ans que je n’ai pas acheté de chemises. Hier, je lui montrais celles que j’ai ; elles sont usées, et si pleines de reprises, que j’ai honte de les porter. Il les a regardées, les a tâtées, en disant qu’elles pouvaient parfaitement aller jusqu’à l’année prochaine… Je n’ai pas un centime à moi ; il faut que je pleure pour une pièce de vingt sous. L’autre jour, j’ai dû emprunter deux sous à Rose pour acheter du fil. J’ai recousu mes gants, qui s’ouvraient de tous les côtés.
Et elle racontait vingt autres détails : les points qu’elle faisait elle-même à ses bottines avec du fil poissé ; les rubans qu’elle lavait dans du thé, pour rafraîchir ses chapeaux ; l’encre qu’elle étalait sur les plis limés de son unique robe de soie, afin d’en cacher l’usure. Madame Rougon s’apitoyait, l’encourageait à la révolte. Mouret était un monstre. Il poussait l’avarice, disait Rose, jusqu’à compter les poires du grenier et les morceaux de sucre des armoires, surveillant les conserves, mangeant lui-même les croûtes de pain de la veille.
Marthe souffrait surtout de ne pouvoir donner aux quêtes de Saint-Saturnin ; elle cachait des pièces de dix sous dans des morceaux de papier, qu’elle gardait précieusement pour les grand’messes des dimanches. Maintenant, quand les dames