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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

Marthe fut très-heureuse de ce prêt. Dès lors, elle eut un nouveau souci : écarter de l’abbé Faujas, sans qu’il s’en doutât, le danger qui le menaçait. Elle montait souvent chez les Trouche, passait là des heures, à chercher avec Olympe le moyen de payer les créances. Celle-ci lui avait raconté que de nombreux billets en souffrance étaient endossés par le prêtre, et que le scandale serait énorme, si jamais ces billets étaient envoyés à quelque huissier de Plassans. Le chiffre des créances était si gros, selon elle, que longtemps elle refusa de le dire, pleurant plus fort, lorsque Marthe la pressait. Un jour enfin, elle parla de vingt mille francs. Marthe resta glacée. Jamais elle ne trouverait vingt mille francs. Les yeux fixes, elle pensait qu’il lui faudrait attendre la mort de Mouret, pour disposer d’une pareille somme.

— Je dis vingt mille francs en gros, se hâta d’ajouter Olympe, que sa mine grave inquiéta ; mais nous serions bien contents de pouvoir les payer en dix ans, par petits à-comptes. Les créanciers attendraient tout le temps qu’on voudrait, s’ils savaient toucher régulièrement… C’est bien fâcheux que nous ne trouvions pas une personne qui ait confiance en nous et qui nous fasse les quelques avances nécessaires.

C’était là le sujet habituel de leur conversation. Olympe parlait souvent aussi de l’abbé Faujas, qu’elle paraissait adorer. Elle racontait à Marthe des particularités intimes sur le prêtre : il craignait les chatouilles ; il ne pouvait pas dormir sur le côté gauche ; il avait une fraise à l’épaule droite, qui rougissait en mai, comme un fruit naturel. Marthe souriait, ne se lassait jamais de ces détails ; elle questionnait la jeune femme sur son enfance, sur celle de son frère. Puis, quand la question d’argent revenait, elle était comme folle de son impuissance ; elle se laissait aller à se plaindre amèrement de Mouret, qu’Olympe, enhardie, finit par ne plus nommer devant elle que « le vieux grigou. » Parfois,