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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

sorte de peur de l’argent. Elle se montra d’abord très-discrète, honteuse, chaque fois qu’elle ouvrait le tiroir, où Mouret gardait toujours en espèces une dizaine de mille francs pour ses achats de vin. Elle prenait strictement ce dont elle avait besoin. Olympe, d’ailleurs, lui donnait d’excellents conseils : puisqu’elle avait la clef maintenant, elle devait se montrer économe. Même, en la voyant toute tremblante devant « le magot, » elle cessa pendant quelque temps de lui parler des dettes de Besançon.

Mouret retomba dans son silence morne. Il avait reçu un nouveau coup, plus violent encore que le premier, lors de l’entrée de Serge au séminaire. Ses amis du cours Sauvaire, les petits rentiers qui faisaient régulièrement un tour de promenade, de quatre à six heures, commençaient à s’inquiéter sérieusement, lorsqu’ils le voyaient arriver, les bras ballants, l’air hébété, répondant à peine, comme envahi par un mal incurable.

— Il baisse, il baisse, murmuraient-ils. À quarante-quatre ans, c’est inconcevable. La tête finira par déménager.

Il semblait ne plus entendre les allusions qu’on risquait méchamment devant lui. Si on le questionnait d’une façon directe sur l’abbé Faujas, il rougissait légèrement, en répondant que c’était un bon locataire, qu’il payait son terme avec une grande exactitude. Derrière son dos, les petits rentiers ricanaient, assis sur quelque banc du cours, au soleil.

— Il n’a que ce qu’il mérite, après tout, disait un ancien marchand d’amandes. Vous vous rappelez comme il était chaud pour le curé ; c’est lui qui allait faire son éloge aux quatre coins de Plassans. Aujourd’hui, quand on le remet sur ce sujet-là, il a une drôle de mine.

Ces messieurs répétaient alors certains cancans scandaleux qu’ils se confiaient à l’oreille, d’un bout du banc à l’autre.

— N’importe, reprenait à demi-voix un maître tanneur