savez bien que tout est à votre disposition, ici… Madame me gronderait, si vous ne vous mettiez pas à votre aise.
Alors, une grande intimité s’établit entre Rose et madame Faujas ; la cuisinière était ravie d’avoir toujours là une personne qui consentît à l’écouter, pendant qu’elle tournait ses sauces. Elle s’entendait à merveille, d’ailleurs, avec la mère du prêtre, dont les robes d’indienne, le masque rude, la brutalité populacière, la mettaient presque sur un pied d’égalité. Pendant des heures, elles s’attardaient ensemble devant leurs fourneaux éteints. Madame Faujas eut bientôt un empire absolu dans la cuisine ; elle gardait son attitude impénétrable, ne disait que ce qu’elle voulait bien dire, se faisait conter ce qu’elle désirait savoir. Elle décida du dîner des Mouret, goûta avant eux aux plats qu’elle leur envoyait ; souvent même Rose faisait à part des friandises destinées particulièrement à l’abbé, des pommes au sucre, des gâteaux de riz, des beignets soufflés. Les provisions se mêlaient, les casseroles allaient à la débandade, les deux dîners se confondaient, à ce point que la cuisinière s’écriait en riant, au moment de servir :
— Dites, madame, est-ce que les œufs sur le plat sont à vous ? Je ne sais plus, moi !… Ma parole ! Il vaudrait mieux qu’on mangeât ensemble.
Ce fut le jour de la Toussaint que l’abbé Faujas déjeuna pour la première fois dans la salle à manger des Mouret. Il était très pressé, il devait retourner à Saint-Saturnin. Marthe, pour qu’il perdît moins de temps, le fit asseoir devant la table, en lui disant que sa mère n’aurait pas deux étages à monter. Une semaine plus tard, l’habitude était prise, les Faujas descendaient à chaque repas, s’attablaient, allaient jusqu’au café. Les premiers jours, les deux cuisines restèrent différentes ; puis, Rose trouva ça « très-bête, » disant qu’elle pouvait bien faire de la cuisine pour quatre personnes, et qu’elle s’entendrait avec madame Faujas.