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LES ROUGON-MACQUART.

— Ne me remerciez pas, ajouta-t-elle. C’est vous qui êtes bien gentils de descendre tenir compagnie à madame ; vous allez apporter un peu de gaieté… Je n’osais plus entrer dans la salle à manger ; il me semblait que j’entrais chez un mort. C’était vide à faire peur… Si monsieur boude à présent, tant pis pour lui ! Il boudera tout seul.

Le poêle ronflait, la pièce était toute tiède. Ce fut un hiver charmant. Jamais Rose n’avait mis le couvert avec du linge plus net ; elle plaçait la chaise de monsieur le curé près du poêle, de façon qu’il eût le dos au feu. Elle soignait particulièrement son verre, son couteau, sa fourchette ; elle veillait, dès que la nappe avait la moindre tache, à ce que la tache ne fût pas de son côté. Puis, c’étaient mille attentions délicates.

Quand elle lui ménageait un plat qu’il aimait, elle l’avertissait pour qu’il réservât son appétit. Parfois, au contraire, elle lui faisait une surprise ; elle apportait le plat couvert, riait en dessous des regards interrogateurs, disait, d’un air de triomphe contenu :

— C’est pour monsieur le curé, une macreuse farcie aux olives, comme il les aime… Madame, donnez un filet à monsieur le curé, n’est-ce pas ? Le plat est pour lui.

Marthe servait. Elle insistait, avec des yeux suppliants, pour qu’il acceptât les bons morceaux. Elle commençait toujours par lui, fouillait le plat, tandis que Rose, penchée au-dessus d’elle, lui indiquait du doigt ce qu’elle croyait le meilleur. Et elles avaient même de courtes querelles sur l’excellence de telles ou telles parties d’un poulet ou d’un lapin. Rose poussait un coussin de tapisserie sous les pieds du prêtre. Marthe exigeait qu’il eût sa bouteille de bordeaux et son pain, un petit pain doré qu’elle commandait tous les jours chez le boulanger.

— Eh ! rien n’est trop bon, répétait Rose, quand l’abbé les remerciait. Qui donc vivrait bien, si les braves cœurs