pouvait même plus l’apercevoir, sans être comme soulevée par une fureur inconsciente. Les querelles éclataient surtout à la fin des repas, lorsque Mouret, sans attendre le dessert, pliait sa serviette et se levait silencieusement.
— Vous pourriez bien quitter la table en même temps que tout le monde, lui disait-elle aigrement ; ce n’est guère poli, ce que vous faites là !
— J’ai fini, je m’en vais, répondait-il de sa voix lente.
Mais elle voyait dans cette retraite de chaque jour une tactique imaginée par son mari pour blesser l’abbé Faujas. Alors, elle perdait toute mesure :
— Vous êtes un mal élevé, vous me faites honte, tenez !… Ah ! je serais heureuse avec vous, si je n’avais pas rencontré des amis qui veulent bien me consoler de vos brutalités. Vous ne savez pas même vous tenir à table ; vous m’empêchez de faire un seul repas paisible… Restez, entendez-vous ! Si vous ne mangez pas, vous nous regarderez.
Il achevait de plier sa serviette en toute tranquillité, comme s’il n’avait pas entendu ; puis, à petits pas, il s’en allait. On l’entendait monter l’escalier et s’enfermer à double tour. Alors, elle étouffait, balbutiait :
— Oh ! le monstre… Il me tue, il me tue !
Il fallait que madame Faujas la consolât. Rose courait au bas de l’escalier, criant de toutes ses forces, pour que Mouret entendit à travers la porte :
— Vous êtes un monstre, monsieur ; madame a bien raison de dire que vous êtes un monstre !
Certaines querelles furent particulièrement violentes. Marthe, dont la raison chancelait, s’imagina que son mari voulait la battre : ce fut une idée fixe. Elle prétendait qu’il la guettait, qu’il attendait une occasion. Il n’osait pas, disait-elle, parce qu’il ne la trouvait jamais seule ; la nuit, il avait peur qu’elle ne criât, qu’elle n’appelât à son secours. Rose jura qu’elle avait vu monsieur cacher un gros bâton dans