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LES ROUGON-MACQUART.

— Je marche trop vite, elles se moquent de moi, pensa Mouret.

Il ralentit encore le pas. Dans la rue de la Banne, à mesure qu’il avançait vers le marché, les boutiquiers accouraient sur les portes, le suivaient curieusement des yeux. Il fit un petit signe de tête au boucher, qui resta ahuri, sans lui rendre son salut. La boulangère, à laquelle il adressa un coup de chapeau, parut si effrayée qu’elle se rejeta en arrière. La fruitière, l’épicier, le pâtissier se le montraient du doigt, d’un trottoir à l’autre. Derrière lui, il laissait toute une agitation ; des groupes se formaient, des bruits de voix s’élevaient, mêlés de ricanements.

— Avez-vous vu comme il marche raide ?

— Oui… Quand il a voulu enjamber le ruisseau, il a failli faire la cabriole.

— On dit qu’ils sont tous comme ça.

— N’importe, j’ai eu bien peur… Pourquoi le laisse-t-on sortir ? Ça devrait être défendu.

Mouret, intimidé, n’osait plus se retourner ; il était pris d’une vague inquiétude, tout en ne comprenant pas nettement qu’on parlait de lui. Il marcha plus vite, fit aller les bras d’un air aisé. Il regretta d’avoir mis sa vieille redingote, une redingote noisette, qui n’était plus à la mode. Arrivé au marché, il hésita un moment, puis s’engagea résolument au milieu des marchandes de légumes. Mais là sa vue produisit une véritable révolution.

Les ménagères de tout Plassans firent la haie sur son passage. Les marchandes, debout à leurs bancs, les poings aux côtés, le dévisagèrent. Il y eut des poussées, des femmes montèrent sur les bornes de la halle au blé. Lui, hâtait toujours le pas, cherchant à se dégager, ne pouvant croire décidément qu’il était la cause de ce vacarme.

— Ah ! bien, on dirait que ses bras sont des ailes de moulin à vent, dit une paysanne qui vendait des fruits.