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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

— Il marche comme un dératé ; il a failli renverser mon étalage, ajouta une marchande de salades.

— Arrêtez-le ! arrêtez-le ! crièrent plaisamment les meuniers.

Mouret, pris de curiosité, s’arrêta net, se haussa vivement sur la pointe des pieds, pour voir ce qui se passait : il croyait qu’on venait de surprendre un voleur. Un immense éclat de rire courut dans la foule ; des huées, des sifflets, des cris d’animaux se firent entendre.

— Il n’est pas méchant, ne lui faites pas de mal.

— Tiens ! je ne m’y fierais pas… Il se lève la nuit pour étrangler les gens.

— Le fait est qu’il a de vilains yeux.

— Alors ça lui a pris tout d’un coup ?

— Oui, tout d’un coup… Ce que c’est que de nous, pourtant ! Un homme qui était si doux !… Je m’en vais ; ça me fait du mal… Voici trois sous pour les navets.

Mouret venait de reconnaître Olympe au milieu d’un groupe de femmes. Elle avait acheté des pêches superbes, qu’elle portait dans un petit sac à ouvrage de dame comme il faut. Elle devait raconter quelque histoire émouvante, car les commères qui l’entouraient poussaient des exclamations étouffées, en joignant les mains d’une façon lamentable.

— Alors, achevait-elle, il l’a saisie par les cheveux et lui aurait coupé la gorge avec un rasoir qui était sur la commode, si nous n’étions pas arrivés à temps pour empêcher le crime… Ne lui dites rien, il ferait un malheur.

— Hein ? quel malheur ? demanda Mouret effaré à Olympe.

Les femmes s’étaient écartées, Olympe avait l’air de se tenir sur ses gardes ; elle s’esquiva prudemment, murmurant :

— Ne vous fâchez pas, monsieur Mouret… Vous feriez mieux de rentrer à la maison.

Mouret se réfugia dans une ruelle qui menait au cours