bien tranquille sur la vertu de sa femme ; il la savait trop fine pour avoir une intrigue à Plassans.
— Vous n’imagineriez jamais à quoi Mouret passe son temps dans la pièce où il s’enferme ? dit le lendemain le conservateur des eaux et forêts, lorsqu’il se rendit à la sous-préfecture. Eh bien ! il compte les s qui se trouvent dans la Bible. Il a craint de s’être trompé, et il a déjà recommencé trois fois son calcul… Ma foi ! vous aviez raison, il est fêlé du haut en bas, ce farceur-là !
Et, à partir de ce moment, M. de Condamin chargea terriblement Mouret. Il poussait même les choses un peu loin, mettant toute sa hâblerie à inventer des histoires saugrenues qui ahurissaient la famille Rastoil. Il prit surtout pour victime M. Maffre. Un jour, il lui racontait qu’il avait aperçu Mouret à une des fenêtres de la rue, tout nu, coiffé seulement d’un bonnet de femme, faisant des révérences dans le vide. Un autre jour, il affirmait avec un aplomb étonnant qu’il était certain d’avoir rencontré à trois heures Mouret, dansant au fond d’un petit bois, comme un homme sauvage ; puis, comme le juge de paix semblait douter, il se fâchait, il disait que Mouret pouvait bien s’en aller par les tuyaux de descente, sans qu’on s’en aperçût. Les familiers de la sous-préfecture souriaient ; mais, dès le lendemain, la bonne des Rastoil répandait ces récits extraordinaires dans la ville, où la légende de l’homme qui battait sa femme prenait des proportions extraordinaires.
Une après-midi, l’aînée des demoiselles Rastoil, Aurélie, raconta en rougissant que, la veille, s’étant mise à la fenêtre, vers minuit, elle avait aperçu le voisin qui se promenait dans son jardin avec un grand cierge. M. de Condamin crut que la jeune fille se moquait de lui ; mais elle donnait des détails précis.
— Il tenait le cierge de la main gauche. Il s’est agenouillé par terre ; puis, il s’est traîné sur les genoux en sanglotant.