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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

figure qui m’inquiète, mon enfant ; il a un masque terrible. Cet homme-là ne mourra pas dans son lit… N’allez pas me compromettre ; je ne demande qu’à vivre tranquille, je n’ai plus besoin que de repos.

L’abbé Surin reprenait son livre, lorsque l’abbé Faujas se fit annoncer. Monseigneur Rousselot, l’air riant, les mains tendues, s’avança à sa rencontre, en l’appelant « mon cher curé. »

— Laissez-nous, mon enfant, dit-il à son secrétaire, qui se retira.

Il parla de son voyage. Sa sœur allait mieux ; il avait pu serrer la main à de vieux amis.

— Et avez-vous vu le ministre ? demanda l’abbé Faujas en le regardant fixement.

— Oui, j’ai cru devoir lui faire une visite, répondit l’évêque, qui se sentit rougir. Il m’a dit un grand bien de vous.

— Alors vous ne doutez plus, vous vous confiez à moi ?

— Absolument, mon cher curé. D’ailleurs je n’entends rien à la politique, je vous laisse le maître.

Ils causèrent ensemble toute la matinée. L’abbé Faujas obtint de lui qu’il ferait une tournée dans le diocèse ; il l’accompagnerait, lui soufflerait ses moindres paroles. Il était nécessaire, en outre, de mander tous les doyens, de façon que les curés des plus petites communes pussent recevoir des instructions. Cela ne présentait aucune difficulté, le clergé obéirait. La besogne la plus délicate était dans Plassans même, dans le quartier Saint-Marc. La noblesse, claquemurée au fond de ses hôtels, échappait entièrement à l’action du prêtre ; il n’avait pu agir jusqu’alors que sur les royalistes ambitieux, les Rastoil, les Maffre, les Bourdeu. L’évêque lui promit de sonder certains salons du quartier Saint-Marc où il était reçu. D’ailleurs, en admettant même que la noblesse votât mal, elle ne réunirait qu’une minorité ridicule, si la bourgeoisie cléricale l’abandonnait.