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Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/311

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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

air confidentiel. Je planterai là toutes ces sacrées dévotes, et j’en raconterai de belles sur leur œuvre de la Vierge… Une jolie maison, où ces dames donnent des rendez-vous !

Cependant, l’abbé Faujas se multipliait ; on ne voyait que lui dans les rues, depuis quelque temps. Il se soignait davantage, faisait effort pour garder un sourire aimable aux lèvres. Les paupières, par instants, se baissaient, éteignant la flamme sombre de son regard. Souvent, à bout de patience, las de ces luttes mesquines de chaque jour, il rentrait dans sa chambre nue, les poings serrés, les épaules gonflées de sa force inutile, souhaitant quelque colosse à étouffer pour se soulager. La vieille madame Rougon, qu’il continuait à voir en secret, était son bon génie ; elle le chapitrait d’importance, tenait son grand corps plié devant elle sur une chaise basse, lui répétait qu’il devrait plaire, qu’il gâterait tout en montrant bêtement ses bras nus de lutteur. Plus tard, quand il serait le maître, il prendrait Plassans à la gorge, il l’étranglerait, si cela pouvait le contenter. Certes, elle n’était pas tendre pour Plassans, contre lequel elle avait une rancune de quarante années de misère, et qu’elle faisait crever de dépit depuis le coup d’État.

— C’est moi qui porte la soutane, lui disait-elle parfois en souriant ; vous avez des allures de gendarme, mon cher curé.

Le prêtre se montrait surtout très-assidu à la salle de lecture du cercle de la Jeunesse. Il y écoutait d’une façon indulgente les jeunes gens parler politique, hochant la tête, répétant que l’honnêteté suffisait. Sa popularité grandissait. Il avait consenti un soir à jouer au billard, s’y montrant d’une force remarquable ; en petit comité, il acceptait des cigarettes. Aussi le cercle prenait-il son avis en toutes choses. Ce qui acheva de le poser comme un homme tolérant, ce fut la façon pleine de bonhomie dont il plaida la réception de Guillaume Porquier, qui avait renouvelé sa demande.