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LES ROUGON-MACQUART.

Il s’était offert pour conquérir « ces petits cœurs, » comme il nommait les jeunes filles ; mais le prêtre, inquiet de ses regards luisants, lui avait formellement interdit de mettre les pieds dans la cour. Il se contentait, lorsque les religieuses tournaient le dos, de jeter des friandises aux « petits cœurs, » comme on jette des miettes de pain aux moineaux. Il emplissait surtout de dragées le tablier d’une grande blonde, la fille d’un tanneur, qui avait, à treize ans, des épaules de femme faite.

La journée de l’abbé Faujas n’était point finie ; il rendait ensuite de courtes visites aux dames de la société. Madame Rastoil, madame Delangre, le recevaient avec des mines ravies ; elles répétaient ses moindres mots, se faisaient avec lui un fonds de conversation pour toute une semaine. Mais sa grande amie était madame de Condamin. Celle-là gardait une familiarité souriante, une supériorité de jolie femme qui se sait toute-puissante. Elle avait des bouts de conversation à voix basse, des coups d’œil, des sourires particuliers, témoignant d’une alliance tenue secrète. Lorsque le prêtre se présentait chez elle, elle mettait d’un regard son mari à la porte. « Le gouvernement entrait en séance, » comme disait plaisamment le conservateur des eaux et forêts, qui montait à cheval en toute philosophie. C’était madame Rougon qui avait désigné madame de Condamin au prêtre.

— Elle n’est point encore tout à fait acceptée, lui expliqua-t-elle ; c’est une femme très-forte, sous son air joli de coquette. Vous pouvez vous ouvrir à elle ; elle verra dans votre triomphe une façon de s’imposer complétement ; elle vous sera de la plus sérieuse utilité, si vous avez des places et des croix à distribuer… Elle a gardé un bon ami à Paris, qui lui envoie du ruban rouge autant qu’elle en demande.

Madame Rougon se tenant à l’écart par une manœuvre de haute habileté, la belle Octavie était ainsi devenue l’alliée la