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Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/338

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LES ROUGON-MACQUART.

— Voleuse, ma mère est voleuse ! Vous croyez peut-être que je vole aussi, moi, que je suis venu ici pour voler, que ma seule ambition est d’allonger les mains et de voler ! Mon Dieu ! quelle idée avez-vous donc de moi ?… Il faudra nous séparer, mère, si nous ne nous entendons pas davantage.

Cette parole terrassa la vieille femme. Elle était restée agenouillée devant le coffre ; elle se trouva assise sur le carreau, toute pâle, étranglant, les mains tendues. Puis, quand elle put parler :

— C’est pour toi, mon enfant, pour toi seul, je te jure… Je te l’ai dit, ils prennent tout ; elle emporte tout dans ses poches. Toi, tu n’auras rien, pas un morceau de sucre… Non, non, je ne prendrai plus rien, puisque cela te contrarie ; mais tu me garderas avec toi, n’est-ce pas ? tu me garderas avec toi…

L’abbé Faujas ne voulut rien lui promettre, tant qu’elle n’aurait pas remis en place tout ce qu’elle avait enlevé. Il présida lui-même, pendant près d’une semaine, au déménagement secret du coffre ; il lui regardait emplir ses poches et attendait qu’elle remontât pour faire un nouveau voyage. Par prudence, il ne lui laissait faire que deux voyages, le soir. La vieille femme avait le cœur crevé, à chaque objet qu’elle rendait ; elle n’osait pleurer, mais des larmes de regret lui gonflaient les paupières ; ses mains étaient plus tremblantes que lorsqu’elle avait vidé les armoires. Ce qui l’acheva, ce fut de constater, dès le second jour, que sa fille Olympe, à chaque chose qu’elle replaçait, venait derrière elle et s’en emparait. Le linge, les provisions, les bouts de bougie ne faisaient que changer de poche.

— Je ne descends plus rien, dit-elle à son fils en se révoltant sous ce coup imprévu. C’est inutile, ta sœur ramasse tout derrière mon dos. Ah ! la coquine ! Autant valait-il lui donner le coffre. Elle doit avoir un joli magot, là-