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Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/342

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LES ROUGON-MACQUART.

— Maintenant c’est fait, se contenta-t-il de répondre ; il faudra bien qu’elles me prennent mal peigné.

Plassans, en effet, dut le prendre mal peigné. Du prêtre souple se dégageait une figure sombre, despotique, pliant toutes les volontés. Sa face redevenue terreuse avait des regards d’aigle ; ses grosses mains se levaient, pleines de menaces et de châtiments. La ville fut positivement terrifiée, en voyant le maître qu’elle s’était donné grandir ainsi démesurément, avec la défroque immonde, l’odeur forte, le poil roussi d’un diable. La peur sourde des femmes affermit encore son pouvoir. Il fut cruel pour ses pénitentes, et pas une n’osa le quitter ; elles venaient à lui avec des frissons dont elles goûtaient la fièvre.

— Ma chère, avouait madame de Condamin à Marthe, j’avais tort en voulant qu’il se parfumât ; je m’habitue, je trouve même qu’il est beaucoup mieux… Voilà un homme !

L’abbé Faujas régnait surtout à l’évêché. Depuis les élections, il avait fait à monseigneur Rousselot une vie de prélat fainéant. L’évêque vivait avec ses chers bouquins, dans son cabinet, où l’abbé, qui dirigeait le diocèse de la pièce voisine, le tenait réellement sous clef, le laissant voir seulement aux personnes dont il ne se défiait pas. Le clergé tremblait sous ce maître absolu ; les vieux prêtres en cheveux blancs se courbaient avec leur humilité ecclésiastique, leur abandon de toute volonté. Souvent, monseigneur Rousselot, enfermé avec l’abbé Surin, pleurait de grosses larmes silencieuses ; il regrettait la main sèche de l’abbé Fenil, qui avait des heures de caresse, tandis que, maintenant, il se sentait comme écrasé sous une pression implacable et continue. Puis, il souriait, il se résignait, murmurant avec son égoïsme aimable :

— Allons, mon enfant, mettons-nous au travail… Je ne devrais pas me plaindre, j’ai la vie que j’ai toujours rêvée : une solitude absolue et des livres.