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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

— Voyons, lui dit-elle en souriant, vous ne pouvez donc vivre tranquilles ! Marthe se plaint toujours, et vous semblez continuellement la bouder… Je sais bien que les femmes sont exigeantes, mais avouez aussi que vous manquez un peu de complaisance… Je suis vraiment peinée de ce qui se passe ; il serait si facile de vous entendre ! Je vous en prie, mon cher abbé, soyez plus doux.

Elle le grondait aussi amicalement de sa mauvaise tenue. Elle sentait, de son flair de femme adroite, qu’il abusait de la victoire. Puis elle excusait sa fille ; la chère enfant avait beaucoup souffert, sa sensibilité nerveuse demandait de grands ménagements ; d’ailleurs, elle possédait un excellent caractère, un naturel aimant, dont un homme habile devait disposer à sa guise. Mais, un jour qu’elle lui enseignait ainsi la façon de faire de Marthe tout ce qu’il voudrait, l’abbé Faujas se lassa de ces éternels conseils.

— Eh non ! cria-t-il brutalement, votre fille est folle, elle m’assomme, je ne veux plus m’occuper d’elle… Je payerais cher le garçon qui m’en débarrasserait.

Madame Rougon le regarda fixement, les lèvres pincées.

— Écoutez, mon cher, lui répondit-elle au bout d’un silence, vous manquez de tact ; cela vous perdra. Faites la culbute, si ça vous amuse. Moi, en somme, je m’en lave les mains. Je vous ai aidé, non pas pour vos beaux yeux, mais pour être agréable à nos amis de Paris. On m’écrivait de vous piloter, je vous pilotais… Seulement, retenez bien ceci : je ne souffrirai pas que vous veniez faire le maître chez moi. Que le petit Péqueur, que le bonhomme Rastoil tremblent à la vue de votre soutane, cela est bon. Nous autres, nous n’avons pas peur, nous entendons rester les maîtres. Mon mari a conquis Plassans avant vous, et nous garderons Plassans, je vous en préviens.

À partir de ce jour, il y eut un grand froid entre les