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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

— Et les Rougon ! fit remarquer M. de Condamin, ils doivent être enchantés.

— Pardieu ! les Rougon sont aux anges. Ils vont hériter de la conquête de l’abbé… Allez, ils auraient payé bien cher celui qui se serait risqué à mettre le feu à la baraque.

Macquart s’en alla, mécontent. Il finissait par craindre d’avoir été dupe. La joie des Rougon le consternait. Les Rougon étaient des malins qui jouaient toujours un double jeu, et avec lesquels on finissait quand même par être volé. En traversant la place de la sous-préfecture, il se jurait de ne plus travailler comme cela, à l’aveuglette.

Comme il remontait à la chambre où Marthe agonisait, il trouva Rose assise sur une marche de l’escalier. Elle était dans une colère bleue, elle grondait :

— Non, certes, je ne resterai pas dans la chambre ; je ne veux pas voir des choses pareilles. Qu’elle crève sans moi ! qu’elle crève comme un chien ! Je ne l’aime plus, je n’aime plus personne… Aller chercher le petit, pour le faire assister à ça ! Et j’ai consenti ! Je m’en voudrai toute la vie… Il était pâle comme sa chemise, le chérubin. J’ai dû le porter du séminaire ici. J’ai cru qu’il allait rendre l’âme en route, tant il pleurait. C’est une pitié !… Et il est là, maintenant, à l’embrasser. Moi, ça me donne la chair de poule. Je voudrais que la maison nous tombât sur la tête, pour que ça fût fini d’un coup… J’irai dans un trou, je vivrai toute seule, je ne verrai jamais personne, jamais, jamais. La vie entière, c’est fait pour pleurer et pour se mettre en colère.

Macquart entra dans la chambre. Madame Rougon, à genoux, se cachait la face entre les mains ; tandis que Serge, debout devant le lit, les joues ruisselantes de larmes, soutenait la tête de la mourante. Elle n’avait point encore repris connaissance. Les dernières lueurs de l’incendie éclairaient la chambre d’un reflet rouge.