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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

Il y avait trente ans qu’il était en guerre avec Fenil. Quand il s’est mis au lit, il me l’a dit : « Allons, c’est Fenil qui l’emporte ; maintenant que je suis par terre, il va m’assommer… » Ah ! ce pauvre Compan, lui que j’ai vu si fier, si énergique, à Saint-Saturnin !… Le petit Eusèbe, l’enfant de chœur que j’ai emmené pour sonner le viatique, est resté tout embarrassé, lorsqu’il a vu où nous allions ; il regardait derrière lui, à chaque coup de sonnette, comme s’il avait craint que Fenil pût l’entendre.

L’abbé Faujas, marchant vite, la tête basse, l’air préoccupé, continuait à garder le silence ; il semblait ne pas écouter son compagnon.

— Monseigneur est-il prévenu ? demanda-t-il brusquement.

Mais l’abbé Bourrette, à son tour, paraissait songeur. Il ne répondit pas ; puis, en arrivant devant la porte de l’abbé Compan, il murmura :

— Dites-lui que nous venons de rencontrer Fenil et qu’il nous a salués. Cela lui fera plaisir… Il croira que je suis curé.

Ils montèrent silencieusement. La sœur du moribond vint leur ouvrir. En voyant les deux prêtres, elle éclata en sanglots, balbutiant au milieu de ses larmes :

— Tout est fini. Il vient de passer entre mes bras… J’étais seule. Il a regardé autour de lui en mourant, il a murmuré : « J’ai donc la peste, qu’on m’a abandonné… » Ah ! messieurs, il est mort avec des larmes plein les yeux.

Ils entrèrent dans la petite chambre où le curé Compan, la tête sur un oreiller, paraissait dormir. Ses yeux étaient restés ouverts, et cette face blanche, profondément triste, pleurait encore ; les larmes coulaient le long des joues. Alors, l’abbé Bourrette tomba à genoux, sanglotant, priant, le front contre les couvertures qui pendaient. L’abbé Faujas resta debout, regardant le pauvre mort ; puis, après s’être