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LES ROUGON-MACQUART

j’ai assez de bals, assez de soupers, assez de fêtes comme cela. C’est toujours la même chose. C’est mortel… Les hommes sont assommants, oh ! oui, assommants…

Maxime se mit à rire. Des ardeurs perçaient sous les mines aristocratiques de la grande mondaine. Elle ne clignait plus les paupières ; la ride de son front se creusait durement ; sa lèvre d’enfant boudeur s’avançait, chaude, en quête de ces jouissances qu’elle souhaitait sans pouvoir les nommer. Elle vit le rire de son compagnon, mais elle était trop frémissante pour s’arrêter ; à demi couchée, se laissant aller au bercement de la voiture, elle continua par petites phrases sèches :

— Certes, oui, vous êtes assommants… Je ne dis pas cela pour toi, Maxime, tu es trop jeune… Mais si je te contais combien Aristide m’a pesé dans les commencements ! Et les autres donc ! ceux qui m’ont aimée… Tu sais, nous sommes deux bons camarades, je ne me gêne pas avec toi ; eh bien ! vrai, il y a des jours où je suis tellement lasse de vivre ma vie de femme riche, adorée, saluée, que je voudrais être une Laure d’Aurigny, une de ces dames qui vivent en garçon.

Et comme Maxime riait plus haut, elle insista :

— Oui, une Laure d’Aurigny. Ça doit être moins fade, moins toujours la même chose.

Elle se tut quelques instants, comme pour s’imaginer la vie qu’elle mènerait, si elle était Laure. Puis, d’un ton découragé :

— Après tout, reprit-elle, ces dames doivent avoir leurs ennuis, elles aussi. Rien n’est drôle, décidément. C’est à mourir… Je le disais bien, il faudrait autre chose ; tu comprends, moi, je ne devine pas ; mais autre chose,