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LA CURÉE

plaire à l’empereur et remplir certaines poches, en était réduite aux emprunts déguisés, ne voulant pas avouer ses fièvres chaudes, sa folie de la pioche et du moellon. Elle venait de créer alors ce qu’on nommait des bons de délégation, de véritables lettres de change à longue date, pour payer les entrepreneurs le jour même de la signature des traités, et leur permettre ainsi de trouver des fonds en négociant les bons. Le Crédit viticole avait gracieusement accepté ce papier de la main des entrepreneurs. Le jour où la Ville manqua d’argent, Saccard alla la tenter. Une somme considérable lui fut avancée, sur une émission de bons de délégation, que M. Toutin-Laroche jura tenir de compagnies concessionnaires, et qu’il traîna dans tous les ruisseaux de la spéculation. Le Crédit viticole était désormais inattaquable ; il tenait Paris à la gorge. Le directeur ne parlait plus qu’avec un sourire de la fameuse Société générale des Ports du Maroc ; elle vivait pourtant toujours, et les journaux continuaient à célébrer régulièrement les grandes stations commerciales. Un jour que M. Toutin-Laroche engageait Saccard à prendre des actions de cette société, celui-ci lui rit au nez, en lui demandant s’il le croyait assez bête pour placer son argent dans la « Compagnie générale des Mille et une Nuits. »

Jusque-là, Saccard avait joué heureusement, à coup sûr, trichant, se vendant, bénéficiant sur les marchés, tirant un gain quelconque de chacune de ses opérations. Bientôt cet agiotage ne lui suffit plus, il dédaigna de glaner, de ramasser l’or que les Toutin-Laroche et les baron Gouraud laissaient tomber derrière eux. Il mit les bras dans le sac jusqu’à l’épaule. Il s’associa avec les Mignon, Charrier et Ce, ces fameux entrepreneurs alors