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LA CURÉE

comprit qu’elle arrivait déjà trop tard, en apercevant Mme de Lauwerens trônant au milieu du salon. Cette dernière, belle femme de vingt-six ans, faisait métier de lancer les nouvelles venues. Elle appartenait à une très ancienne famille, était mariée à un homme de la haute finance, qui avait le tort de refuser le payement des mémoires de modiste et de tailleur. La dame, personne fort intelligente, battait monnaie, s’entretenait elle-même. Elle avait horreur des hommes, disait-elle ; mais elle en fournissait à toutes ses amies ; il y en avait toujours un achalandage complet dans l’appartement qu’elle occupait rue de Provence, au-dessus des bureaux de son mari. On y faisait de petits goûters. On s’y rencontrait d’une façon imprévue et charmante. Il n’y avait aucun mal à une jeune fille d’aller voir sa chère Mme de Lauwerens, et tant pis si le hasard amenait là des hommes, très respectueux d’ailleurs, et du meilleur monde. La maîtresse de la maison était adorable dans ses grands peignoirs de dentelle. Souvent un visiteur l’aurait choisie de préférence, en dehors de sa collection de blondes et de brunes. Mais la chronique assurait qu’elle était d’une sagesse absolue. Tout le secret de l’affaire était là. Elle conservait sa haute situation dans le monde, avait pour amis tous les hommes, gardait son orgueil de femme honnête, goûtait une secrète joie à faire tomber les autres et à tirer profit de leurs chutes. Lorsque Mme Sidonie se fut expliqué le mécanisme de l’invention nouvelle, elle fut navrée. C’était l’école classique, la femme en vieille robe noire portant des billets doux au fond de son cabas, mise en face de l’école moderne, de la grande dame qui vend ses amies dans son boudoir en buvant une tasse de thé. L’école moderne triompha.