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LES ROUGON-MACQUART

rieuse, perdue au fond de ces vagues souhaits dont s’emplissent les rêveries de femmes. Ce large trottoir que balayaient les robes des filles, et où les bottes des hommes sonnaient avec des familiarités particulières, cette asphalte grise où lui semblait passer le galop des plaisirs et des amours faciles, réveillaient ses désirs endormis, lui faisaient oublier ce bal idiot dont elle sortait, pour lui laisser entrevoir d’autres joies de plus haut goût. Aux fenêtres des cabinets de Brébant, elle aperçut des ombres de femmes sur la blancheur des rideaux. Et Maxime lui conta une histoire très risquée, d’un mari trompé qui avait ainsi surpris, sur un rideau, l’ombre de sa femme en flagrant délit avec l’ombre d’un amant. Elle l’écoutait à peine. Lui, s’égaya, finit par lui prendre les mains, par la taquiner, en lui parlant de ce pauvre M. de Mussy.

Comme ils revenaient et qu’ils repassaient devant Brébant :

— Sais-tu, dit-elle tout à coup, que M. de Saffré m’a invitée à souper, ce soir ?

— Oh ! tu aurais mal mangé, répliqua-t-il en riant. Saffré n’a pas la moindre imagination culinaire. Il en est encore à la salade de homard.

— Non, non, il parlait d’huîtres et de perdreau froid… Mais il m’a tutoyée, et cela m’a gênée…

Elle se tut, regarda encore le boulevard, et ajouta après un silence, d’un air désolé :

— Le pis est que j’ai une faim atroce.

— Comment, tu as faim ! s’écria le jeune homme. C’est bien simple, nous allons souper ensemble… Veux-tu ?

Il dit cela tranquillement, mais elle refusa d’abord,