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Page:Emile Zola - La Curée.djvu/196

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LES ROUGON-MACQUART

Mais vous savez que je comprends toutes les faiblesses. Votre note est de cent trente-six mille francs, et vous avez été presque sage, relativement, je veux dire… Seulement, je le répète, je ne puis payer, je suis gêné.

Elle tendit la main, d’un geste de dépit contenu.

— C’est bien, dit-elle sèchement, rendez-moi le mémoire. J’aviserai.

— Je vois que vous ne me croyez pas, murmura Saccard, goûtant comme un triomphe l’incrédulité de sa femme au sujet de ses embarras d’argent. Je ne dis pas que ma situation soit menacée, mais les affaires sont bien nerveuses en ce moment… Laissez-moi, quoique je vous importune, vous expliquer notre cas ; vous m’avez confié votre dot, et je vous dois une entière franchise.

Il posa le mémoire sur la cheminée, prit les pincettes, se mit à tisonner. Cette manie de fouiller les cendres, pendant qu’il causait d’affaires, était chez lui un calcul qui avait fini par devenir une habitude. Quand il arrivait à un chiffre, à une phrase difficile à prononcer, il produisait quelque éboulement qu’il réparait ensuite laborieusement, rapprochant les bûches, ramassant et entassant les petits éclats de bois. D’autres fois, il disparaissait presque dans la cheminée, pour aller chercher un morceau de braise égaré. Sa voix s’assourdissait, on s’impatientait, on s’intéressait à ses savantes constructions de charbons ardents, on ne l’écoutait plus, et généralement on sortait de chez lui battu et content. Même chez les autres, il s’emparait despotiquement des pincettes. L’été, il jouait avec une plume, un couteau à papier, un canif.