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LA CURÉE

— Ma chère amie, dit-il en donnant un grand coup qui mit le feu en déroute, je vous demande encore une fois pardon d’entrer dans ces détails… Je vous ai servi exactement la rente des fonds que vous m’avez remis entre les mains. Je puis même dire, sans vous blesser, que j’ai regardé seulement cette rente comme votre argent de poche, payant vos dépenses, ne vous demandant jamais votre apport de moitié dans les frais communs du ménage.

Il se tut. Renée souffrait, le regardait faire un grand trou dans la cendre pour enterrer le bout d’une bûche. Il arrivait à un aveu délicat.

— J’ai dû, vous le comprenez, faire produire à votre argent des intérêts considérables. Les capitaux sont entre bonnes mains, soyez tranquille… Quant aux sommes provenant de vos biens de la Sologne, elles ont servi en partie au paiement de l’hôtel que nous habitons ; le reste est placé dans une affaire excellente, la Société générale des Ports du Maroc… Nous n’en sommes pas à compter ensemble, n’est-ce pas ? mais je veux vous prouver que les pauvres maris sont parfois bien méconnus.

Un motif puissant devait le pousser à mentir moins que de coutume. La vérité était que la dot de Renée n’existait plus depuis longtemps ; elle avait passé, dans la caisse de Saccard, à l’état de valeur fictive. S’il en servait les intérêts à plus de deux ou trois cents pour cent, il n’aurait pu représenter le moindre titre ni retrouver la plus petite espèce solide du capital primitif. Comme il l’avouait à moitié, d’ailleurs, les cinq cent mille francs des biens de la Sologne avaient servi à donner un premier acompte sur l’hôtel et le mobilier, qui coûtaient ensemble près de deux millions.