Page:Emile Zola - La Curée.djvu/226

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
226
LES ROUGON-MACQUART

où il tombait. Dans les commencements, il goûta même des satisfactions d’amour-propre. C’était la première femme mariée qu’il possédait. Il ne songeait pas que le mari était son père.

Mais Renée apportait dans la faute toutes ces ardeurs de cœur déclassé. Elle aussi avait glissé sur la pente. Seulement, elle n’avait pas roulé jusqu’au bout comme une chair inerte. Le désir s’était éveillé en elle trop tard pour le combattre, lorsque la chute devenait fatale. Cette chute lui apparut brusquement comme une nécessité de son ennui, comme une jouissance rare et extrême qui seule pouvait réveiller ses sens lassés, son cœur meurtri. Ce fut pendant cette promenade d’automne, au crépuscule, quand le Bois s’endormait, que l’idée vague de l’inceste lui vint, pareille à un chatouillement qui lui mit à fleur de peau un frisson inconnu ; et, le soir, dans la demi-ivresse du dîner, sous le fouet de la jalousie, cette idée se précisa, se dressa ardemment devant elle, au milieu des flammes de la serre, en face de Maxime et de Louise. À cette heure, elle voulut le mal, le mal que personne ne commet, le mal qui allait emplir son existence vide et la mettre enfin dans cet enfer, dont elle avait toujours peur, comme au temps où elle était petite fille. Puis, le lendemain, elle ne voulut plus, par un étrange sentiment de remords et de lassitude. Il lui semblait qu’elle avait déjà péché, que ce n’était pas si bon qu’elle pensait, et que ce serait vraiment trop sale. La crise devait être fatale, venir d’elle-même, en dehors de ces deux êtres, de ces camarades qui étaient destinés à se tromper un beau soir, à s’accoupler, en croyant se donner une poignée de main. Mais, après cette chute bête, elle se remit à son rêve