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Page:Emile Zola - La Curée.djvu/263

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LA CURÉE

Dans le coupé, le jeune homme causa tout seul, il trouvait en général la tragédie « assommante, » et préférait les pièces des Bouffes. Cependant Phèdre était « corsée. » Il s’y était intéressé, parce que… Et il serra la main de Renée, pour compléter sa pensée. Puis une idée drôle lui passa par la tête, et il céda à l’envie de faire un mot :

— C’est moi, murmura-t-il, qui avais raison de ne pas m’approcher de la mer, à Trouville.

Renée, perdue au fond de son rêve douloureux, se taisait. Il fallut qu’il répétât sa phrase.

— Pourquoi ? demanda-t-elle étonnée, ne comprenant pas.

— Mais le monstre…

Et il eut un petit ricanement. Cette plaisanterie glaça la jeune femme. Tout se détraqua dans sa tête. La Ristori n’était plus qu’un gros pantin qui retroussait son péplum et montrait sa langue au public comme Blanche Müller, au troisième acte de la Belle Hélène, Théramène dansait le cancan, et Hippolyte mangeait des tartines de confiture en se fourrant les doigts dans le nez.

Quand un remords plus cuisant faisait frissonner Renée, elle avait des rébellions superbes. Quel était donc son crime, et pourquoi aurait-elle rougi ? Est-ce qu’elle ne marchait pas chaque jour sur des infamies plus grandes ? est-ce qu’elle ne coudoyait pas, chez les ministres, aux Tuileries, partout, des misérables comme elle, qui avaient sur leur chair des millions et qu’on adorait à deux genoux ! Et elle songeait à l’amitié honteuse d’Adeline d’Espanet et de Suzanne Haffner, dont on souriait parfois aux lundis de l’impératrice. Elle se