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Page:Emile Zola - La Curée.djvu/274

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LES ROUGON-MACQUART

qu’elle l’adorait toujours, et que le lendemain elle lui expliquerait tout. Mais il se dégagea, il ferma violemment la porte de la serre, en répondant :

— Eh non ! c’est fini, j’en ai plein le dos.

Elle resta écrasée. Elle le regarda traverser le jardin. Il lui semblait que les arbres de la serre tournaient autour d’elle. Puis, lentement, elle traîna ses pieds nus sur le sable des allées, elle remonta les marches du perron, la peau marbrée par le froid, plus tragique dans le désordre de ses dentelles. En haut, elle répondit aux questions de son mari, qui l’attendait, qu’elle avait cru se rappeler l’endroit où pouvait être tombé un petit carnet perdu depuis le matin. Et, quand elle fut couchée, elle éprouva tout à coup un désespoir immense, en réfléchissant qu’elle aurait dû dire à Maxime que son père, rentré avec elle, l’avait suivie dans sa chambre pour l’entretenir d’une question d’argent quelconque.

Ce fut le lendemain que Saccard se décida à brusquer le dénouement de l’affaire de Charonne. Sa femme lui appartenait ; il venait de la sentir douce et inerte entre ses mains, comme une chose qui s’abandonne. D’autre part, le tracé du boulevard du Prince-Eugène allait être arrêté, il fallait que Renée fût dépouillée avant que l’expropriation prochaine s’ébruitât. Saccard montrait, dans toute cette affaire, un amour d’artiste ; il regardait mûrir son plan avec dévotion, tendait ses pièges avec les raffinements d’un chasseur qui met de la coquetterie à prendre galamment le gibier. C’était, chez lui, une simple satisfaction de joueur adroit, d’homme goûtant une volupté particulière au gain volé ; il voulait avoir les terrains pour un morceau de pain, quitte à donner cent mille francs de bijoux à sa femme, dans la joie du