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LES ROUGON-MACQUART

fade. Il était très assidu aux mardis de Laure, dont il avait fait la conquête par sa naïveté absolue. Malheureusement, à trente-cinq ans, il se trouvait encore sous la dépendance de sa mère, à tel point qu’il pouvait disposer au plus d’une dizaine de louis à la fois. Les soirs où Laure daignait lui prendre ses dix louis, en se plaignant, en parlant des cent mille francs dont elle aurait besoin, il soupirait, il lui promettait la somme pour le jour où il serait le maître. Ce fut alors qu’elle eut l’idée de lui faire lier amitié avec Larsonneau, un des bons amis de la maison. Les deux hommes allèrent déjeuner ensemble chez Tortoni ; et, au dessert, Larsonneau, en contant ses amours avec une Espagnole délicieuse, prétendit connaître des prêteurs ; mais il conseilla vivement à Rozan de ne jamais passer par leurs mains. Cette confidence endiabla le duc, qui finit par arracher à son bon ami la promesse de s’occuper de « sa petite affaire. » Il s’en occupa si bien qu’il devait porter l’argent le soir même où Saccard lui avait donné rendez-vous chez Laure.

Lorsque Larsonneau arriva, il n’y avait encore dans le grand salon blanc et or de la d’Aurigny que cinq ou six femmes, qui lui prirent les mains, lui sautèrent au cou, avec une fureur de tendresse. Elles l’appelaient « ce grand Lar ! » un diminutif caressant que Laure avait inventé. Et lui, d’une voix flûtée :

— Là, là, mes petites chattes ; vous allez écraser mon chapeau.

Elles se calmèrent, elles l’entourèrent étroitement sur une causeuse, tandis qu’il leur contait une indigestion de Sylvia, avec laquelle il avait soupé la veille. Puis, tirant un drageoir de la poche de son habit, il leur offrit des pralines. Mais Laure sortit de sa chambre à coucher,