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Page:Emile Zola - La Curée.djvu/314

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LES ROUGON-MACQUART

— Est-ce qu’il s’est exécuté ?

— Oui, répondit la jeune femme, languissante, jouant à ravir son rôle d’almée. J’ai choisi la maison de Louveciennes et j’en ai reçu les actes de propriété par son homme d’affaires… Mais nous avons rompu, je ne le vois plus.

Louise avait une finesse d’oreille particulière pour saisir ce qu’on voulait lui cacher. Elle regarda le baron Gouraud avec sa hardiesse de page, et dit tranquillement à madame Michelin :

— Vous ne trouvez pas qu’il est affreux, le baron ?

Puis elle ajouta en éclatant de rire :

— Dites ! on aurait dû lui confier le rôle de Narcisse. Il serait délicieux en maillot vert-pomme.

La vue de Vénus, de ce coin voluptueux de l’Olympe, avait en effet ranimé le vieux sénateur. Il roulait des yeux charmés, se tournait à demi pour complimenter Saccard. Dans le brouhaha qui emplissait le salon, le groupe des hommes graves continuait à causer affaires, politique. M. Haffner dit qu’il venait d’être nommé président d’un jury chargé de régler des questions d’indemnités. Alors la conversation s’engagea sur les travaux de Paris, sur le boulevard du Prince-Eugène, dont on commençait à causer sérieusement dans le public. Saccard saisit l’occasion, parla d’une personne qu’il connaissait, d’un propriétaire qu’on allait sans doute exproprier. Et il regardait en face ces messieurs. Le baron hocha doucement la tête ; M. Toutin-Laroche poussa les choses jusqu’à déclarer que rien n’était plus désagréable que d’être exproprié ; M. Michelin approuvait, louchait davantage, en regardant sa décoration.

— Les indemnités ne sauraient jamais être trop fortes,