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LES ROUGON-MACQUART

pas qu’un homme autre que son mari puisse se flatter d’avoir vu certain signe noir placé au-dessus de son genou. » Les rires reprirent de plus belle ; Louise riait franchement, plus haut que les hommes. Et doucement, au milieu de ces rires, comme sourd, un laquais allongeait en ce moment, entre chaque convive, sa tête grave et blême, offrant des aiguillettes de canard sauvage, à voix basse.

Aristide Saccard fut fâché du peu d’attention qu’on accordait à M. Toutin-Laroche. Il reprit, pour lui montrer qu’il l’avait écouté :

— L’emprunt de la ville…

Mais M. Toutin-Laroche n’était pas homme à perdre le fil d’une idée :

— Ah ! messieurs, continua-t-il quand les rires furent calmés, la journée d’hier a été une grande consolation pour nous, dont l’administration est en butte à tant d’ignobles attaques. On accuse le Conseil de conduire la Ville à sa ruine, et, vous le voyez, dès que la Ville ouvre un emprunt, tout le monde nous apporte son argent, même ceux qui crient.

— Vous avez fait des miracles, dit Saccard. Paris est devenu la capitale du monde.

— Oui, c’est vraiment prodigieux, interrompit M. Hupel de la Noue. Imaginez-vous que moi, qui suis un vieux Parisien, je ne reconnais plus mon Paris. Hier, je me suis perdu pour aller de l’Hôtel de Ville au Luxembourg. C’est prodigieux, prodigieux !

Il y eut un silence. Tous les hommes graves écoutaient maintenant.

— La transformation de Paris, continua M. Toutin-Laroche, sera la gloire du règne. Le peuple est ingrat :