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LES ROUGON-MACQUART

jeune homme qui baisait dévotement les mains de la petite madame Daste, en murmurant :

— Madame de Lauwerens me l’avait bien dit : vous êtes un ange !

Cette déclaration, chez elle, dans sa serre, la choqua. Vraiment madame de Lauwerens aurait dû porter son commerce ailleurs ! Et Renée se serait soulagée à chasser de ses appartements tout ce monde qui criait si fort. Debout devant le bassin, elle regardait l’eau, elle se demandait où Louise et Maxime avaient pu se cacher. L’orchestre jouait toujours cette valse dont le bercement ralenti lui tournait le cœur. C’était insupportable, on ne pouvait réfléchir chez soi. Elle ne savait plus. Elle oubliait que les jeunes gens n’étaient pas encore mariés, et elle se disait que c’était bien simple, qu’ils étaient allés se coucher. Puis elle songea à la salle à manger, elle remonta vivement l’escalier de la serre. Mais, à la porte du grand salon, elle fut arrêtée une seconde fois par une figure du cotillon.

— Ce sont les « Points noirs », mesdames, disait galamment M. de Saffré. Ceci est de mon invention, et je vous en donne la primeur.

On riait beaucoup. Les hommes expliquaient l’allusion aux jeunes femmes. L’empereur venait de prononcer un discours qui constatait, à l’horizon politique, la présence de « certains points noirs ». Ces points noirs, on ne savait pourquoi, avaient fait fortune. L’esprit de Paris s’était emparé de cette expression, au point que, depuis huit jours, on accommodait tout aux points noirs. M. de Saffré plaça les cavaliers à l’un des bouts du salon, en leur faisant tourner le dos aux dames, laissées à l’autre bout. Puis il leur commanda de relever leurs