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LES ROUGON-MACQUART

de sa vie, le sang de son père, ce sang bourgeois qui la tourmentait aux heures de crise, cria en elle, se révolta. Elle qui avait toujours tremblé à la pensée de l’enfer, elle aurait dû vivre au fond de la sévérité noire de l’hôtel Béraud. Qui donc l’avait mise nue ?

Et, dans l’ombre bleuâtre de la glace, elle crut voir se lever les figures de Saccard et de Maxime. Saccard, noirâtre, ricanant, avait une couleur de fer, un rire de tenaille, sur ses jambes grêles. Cet homme était une volonté. Depuis dix ans, elle le voyait dans la forge, dans les éclats du métal rougi, la chair brûlée, haletant, tapant toujours, soulevant des marteaux vingt fois trop lourds pour ses bras, au risque de s’écraser lui-même. Elle le comprenait maintenant ; il lui apparaissait grandi par cet effort surhumain, par cette coquinerie énorme, cette idée fixe d’une immense fortune immédiate. Elle se le rappelait sautant les obstacles, roulant en pleine boue, et ne prenant pas le temps de s’essuyer pour arriver avant l’heure, ne s’arrêtant même pas à jouir en chemin, mâchant ses pièces d’or en courant. Puis la tête blonde et jolie de Maxime apparaissait derrière l’épaule rude de son père : il avait son clair sourire de fille, ses yeux vides de catin qui ne se baissaient jamais, sa raie au milieu du front, montrant la blancheur du crâne. Il se moquait de Saccard, il le trouvait bourgeois de se donner tant de peine pour gagner un argent qu’il mangeait, lui, avec une si adorable paresse. Il était entretenu. Ses mains longues et molles contaient ses vices. Son corps épilé avait une pose lassée de femme assouvie. Dans tout cet être lâche et mou, où le vice coulait avec la douceur d’une eau tiède, ne luisait pas seulement l’éclair de la curiosité du mal. Il subissait. Et Renée, en regardant les