Page:Emile Zola - La Curée.djvu/354

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
354
LES ROUGON-MACQUART

ceau, la pensée que son mari la salirait et la jetterait un jour à la folie, était venue effrayer ses désirs grandissants. Ah ! que sa pauvre tête souffrait ! comme elle sentait, à cette heure, la fausseté de cette imagination, qui lui faisait croire qu’elle vivait dans une sphère bienheureuse de jouissance et d’impunité divines ! Elle avait vécu au pays de la honte, et elle était châtiée par l’abandon de tout son corps, par la mort de son être qui agonisait. Elle pleurait de ne pas avoir écouté les grandes voix des arbres.

Sa nudité l’irritait. Elle tourna la tête, elle regarda autour d’elle. Le cabinet de toilette gardait sa lourdeur musquée, son silence chaud, où les phrases de la valse arrivaient toujours, comme les derniers cercles mourants sur une nappe d’eau. Ce rire affaibli de lointaine volupté passait sur elle avec des railleries intolérables. Elle se boucha les oreilles pour ne plus entendre. Alors elle vit le luxe du cabinet. Elle leva les yeux sur la tente rose, jusqu’à la couronne d’argent qui laissait apercevoir un Amour joufflu apprêtant sa flèche ; elle s’arrêta aux meubles, au marbre de la table de toilette, encombré de pots et d’outils qu’elle ne reconnaissait plus ; elle alla à la baignoire, pleine encore, et dont l’eau dormait ; elle repoussa du pied les étoffes traînant sur le satin blanc des fauteuils, le costume de la nymphe Écho, les jupons, les serviettes oubliées. Et de toutes ces choses montaient des voix de honte : la robe de la nymphe Écho lui parlait de ce jeu qu’elle avait accepté, pour l’originalité de s’offrir à Maxime en public ; la baignoire exhalait l’odeur de son corps, l’eau où elle s’était trempée, mettait, dans la pièce, sa fièvre de femme malade ; la table avec ses savons et ses huiles, les meubles, avec leurs rondeurs