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LA CURÉE

cigarettes à Marseille, en 1849 ? cria à ce moment Maxime, du bout de la table.

Et comme Aristide Saccard feignait de ne pas entendre, le jeune homme reprit d’un ton plus bas :

— Mon père l’a connue particulièrement.

Il y eut quelques rires étouffés. Cependant, tandis que M. de Mareuil saluait toujours, M. Haffner avait repris d’une voix sentencieuse :

— Le dévouement à l’empereur est la seule vertu, le seul patriotisme, en ces temps de démocratie intéressée. Quiconque aime l’empereur aime la France. C’est avec une joie sincère que nous verrions monsieur devenir notre collègue.

— Monsieur l’emportera, dit à son tour M. Toutin-Laroche. Les grandes fortunes doivent se grouper autour du trône.

Renée n’y tint plus. En face d’elle, la marquise étouffait un bâillement. Et comme Saccard allait reprendre la parole :

— Par grâce, mon ami, ayez un peu pitié de nous, lui dit sa femme, avec un joli sourire, laissez là votre vilaine politique.

Alors, M. Hupel de la Noue, galant comme un préfet, se récria, dit que ces dames avaient raison. Et il entama le récit d’une histoire scabreuse qui s’était passée dans son chef-lieu. La marquise, madame Haffner et les autres dames rirent beaucoup de certains détails. Le préfet contait d’une façon très piquante, avec des demi-mots, des réticences, des inflexions de voix, qui donnaient un sens très polisson aux termes les plus innocents. Puis on parla du premier mardi de la duchesse, d’une bouffonnerie qu’on avait jouée la veille, de la mort d’un poète