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LES ROUGON-MACQUART

parc, dont les voix lui avaient conseillé la paix heureuse. Ses sens de femme ardente, ses caprices de femme blasée s’éveillaient. Et, au-dessus d’elle, le grand Sphinx de marbre noir riait d’un rire mystérieux, comme s’il avait lu le désir enfin formulé qui galvanisait ce cœur mort, le désir longtemps fuyant, « l’autre chose » vainement cherchée par Renée dans le bercement de sa calèche, dans la cendre fine de la nuit tombante, et que venait brusquement de lui révéler sous la clarté crue, au milieu de ce jardin de feu, la vue de Louise et de Maxime, riant et jouant, les mains dans les mains.

À ce moment, un bruit de voix sortit d’un berceau voisin, dans lequel Aristide Saccard avait conduit les sieurs Mignon et Charrier.

— Non, vrai, monsieur Saccard, disait la voix grasse de celui-ci, nous ne pouvons vous racheter cela à plus de deux cents francs le mètre.

Et la voix aigre de Saccard se récriait :

— Mais, dans ma part, vous m’avez compté le mètre de terrain à deux cent cinquante francs.

— Eh bien ! écoutez, nous mettrons deux cent vingt-cinq francs.

Et les voix continuèrent, brutales, sonnant étrangement sous les palmes tombantes des massifs. Mais elles traversèrent comme un vain bruit le rêve de Renée, devant laquelle se dressait, avec l’appel du vertige, une jouissance inconnue, chaude de crime, plus âpre que toutes celles qu’elle avait déjà épuisées, la dernière qu’elle eût encore à boire. Elle n’était plus lasse.

L’arbuste derrière lequel elle se cachait à demi, était une plante maudite, un Tanghin de Madagascar, aux larges feuilles de buis, aux tiges blanchâtres, dont les