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LES ROUGON-MACQUART

blait un gaillard hors ligne. Il ne lui pardonna pas ses défiances, ni sa franchise un peu rude ; mais il alla docilement s’enfermer rue Saint-Jacques. Il était venu avec cinq cents francs que lui avait prêtés le père de sa femme. Les frais du voyage payés, il fit durer un mois les trois cents francs qui lui restaient. Angèle était une grosse mangeuse ; elle crut, en outre, devoir rafraîchir sa toilette de gala par une garniture de rubans mauves. Ce mois d’attente parut interminable à Aristide. L’impatience le brûlait. Lorsqu’il se mettait à la fenêtre, et qu’il sentait sous lui le labeur géant de Paris, il lui prenait des envies folles de se jeter d’un bond dans la fournaise, pour y pétrir l’or de ses mains fiévreuses, comme une cire molle. Il aspirait ces souffles encore vagues qui montaient de la grande cité, ces souffles de l’empire naissant, où traînaient déjà des odeurs d’alcôves et de tripots financiers, des chaleurs de jouissances. Les fumets légers qui lui arrivaient lui disaient qu’il était sur la bonne piste, que le gibier courait devant lui, que la grande chasse impériale, la chasse aux aventures, aux femmes, aux millions, commençait enfin. Ses narines battaient, son instinct de bête affamée saisissait merveilleusement au passage les moindres indices de la curée chaude dont la ville allait être le théâtre.

Deux fois, il alla chez son frère, pour activer ses démarches. Eugène l’accueillit avec brusquerie, lui répétant qu’il ne l’oubliait pas, mais qu’il fallait attendre. Il reçut enfin une lettre qui le priait de passer rue de Penthièvre. Il y alla, le cœur battant à grands coups, comme à un rendez-vous d’amour. Il trouva Eugène devant son éternelle petite table noire, dans la grande pièce glacée