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LES ROUGON-MACQUART

pour régner… Mais, par grâce, attends que la nappe soit mise, et, si tu m’en crois, donne-toi la peine d’aller chercher toi-même ton couvert à l’office.

Aristide restait sombre. Les comparaisons aimables de son frère ne le déridaient pas. Alors celui-ci céda de nouveau à la colère :

— Tiens ! s’écria-t-il, j’en reviens à ma première opinion : tu es un sot… Eh ! qu’espérais-tu donc, que croyais-tu donc que j’allais faire de ton illustre personne ? Tu n’as même pas eu le courage de finir ton droit ; tu t’es enterré pendant dix ans dans une misérable place de commis de sous-préfecture ; tu m’arrives avec une détestable réputation de républicain que le coup d’État a pu seul convertir… Crois-tu qu’il y ait en toi l’étoffe d’un ministre, avec de pareilles notes… Oh ! je sais, tu as pour toi ton envie farouche d’arriver par tous les moyens possibles. C’est une grande vertu, j’en conviens, et c’est à elle que j’ai eu égard en te faisant entrer à la Ville.

Et, se levant, mettant la nomination dans les mains d’Aristide :

— Prends, continua-t-il, tu me remercieras un jour. C’est moi qui ai choisi la place, je sais ce que tu peux en tirer… Tu n’auras qu’à regarder et à écouter. Si tu es intelligent, tu comprendras et tu agiras… Maintenant retiens bien ce qu’il me reste à te dire. Nous entrons dans un temps où toutes les fortunes sont possibles. Gagne beaucoup d’argent, je te le permets ; seulement pas de bêtise, pas de scandale trop bruyant, ou je te supprime.

Cette menace produisit l’effet que ses promesses n’avaient pu amener. Toute la fièvre d’Aristide se ralluma