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LA CURÉE

ses phrases, comme si elle eût continué à plaindre la pauvre Angèle. C’était une façon d’impatienter son frère et de le pousser à la questionner, pour ne pas avoir toute la responsabilité de l’offre qu’elle venait lui faire. L’employé fut pris en effet d’une sourde irritation.

— Voyons, achève ! dit-il. Pourquoi veut-on marier cette jeune fille ?

— Elle sortait de pension, reprit la courtière d’une voix dolente, un homme l’a perdue, à la campagne, chez les parents d’une de ses amies. Le père vient de s’apercevoir de la faute. Il voulait la tuer. La tante, pour sauver la chère enfant, s’est faite complice, et à elles deux, elles ont conté une histoire au père, elles lui ont dit que le coupable était un honnête garçon qui ne demandait qu’à réparer son égarement d’une heure.

— Alors, dit Saccard d’un ton surpris et comme fâché, l’homme de la campagne va épouser la jeune fille ?

— Non, il ne peut pas, il est marié.

Il y eut un silence. Le râle d’Angèle sonnait plus douloureusement dans l’air frissonnant. La petite Clotilde avait cessé de jouer ; elle regardait madame Sidonie et son père, de ses grands yeux d’enfant songeur, comme si elle eût compris leurs paroles. Saccard se mit à poser des questions brèves :

— Quel âge a la jeune fille ?

— Dix-neuf ans.

— La grossesse date ?

— De trois mois. Il y aura sans doute une fausse couche.

— Et la famille est riche et honorable ?

— Vieille bourgeoisie. Le père a été magistrat. Fort belle fortune.