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LES ROUGON-MACQUART

gères, jusqu’à la Porte de la Muette, dont on apercevait très loin la grille basse, pareille à un bout de dentelle noire tendu au ras du sol ; et, sur les pentes, aux endroits où les ondulations se creusaient, l’herbe était toute bleue. Renée regardait, les yeux fixes, comme si cet agrandissement de l’horizon, ces prairies molles, trempées par l’air du soir, lui eussent fait sentir plus vivement le vide de son être.

Au bout d’un silence, elle répéta, avec l’accent d’une colère sourde :

— Oh ! je m’ennuie, je m’ennuie à mourir.

— Sais-tu que tu n’es pas gaie, dit tranquillement Maxime. Tu as tes nerfs, c’est sûr.

La jeune femme se rejeta au fond de la voiture.

— Oui, j’ai mes nerfs, répondit-elle sèchement.

Puis elle se fit maternelle.

— Je deviens vieille, mon cher enfant ; j’aurai trente ans bientôt. C’est terrible. Je ne prends de plaisir à rien… À vingt ans, tu ne peux savoir…

— Est-ce que c’est pour te confesser que tu m’as emmené ? interrompit le jeune homme. Ce serait diablement long.

Elle accueillit cette impertinence avec un faible sourire, comme une boutade d’enfant gâté à qui tout est permis.

— Je te conseille de te plaindre, continua Maxime : tu dépenses plus de cent mille francs par an pour ta toilette, tu habites un hôtel splendide, tu as des chevaux superbes, tes caprices font loi, et les journaux parlent de chacune de tes robes nouvelles comme d’un événement de la dernière gravité ; les femmes te jalousent, les hommes donneraient dix ans de leur vie pour te baiser le bout des doigts… Est-ce vrai ?