Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/102

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s’il refusait de lutter davantage ! Mais elle parla vainement, tandis que Véronique ôtait le couvert. Puis, pour ne pas éclater en reproches, elle monta s’enfermer dans sa chambre, désespérée.

Derrière elle, un silence s’était fait, la famille embarrassée s’oubliait devant la table.

— Décidément, cette enfant est avare, c’est un vilain défaut, dit enfin la mère. Je n’ai pas envie que Lazare se tue de fatigues et de contrariétés.

Le père hasarda d’une voix timide :

— On ne m’avait pas parlé d’une pareille somme… Cent mille francs, mon Dieu ! c’est terrible.

— Eh bien ! quoi, cent mille francs ? interrompit-elle de sa voix brève, on les lui rendra… Si notre fils l’épouse, il est bien homme à gagner cent mille francs.

Tout de suite, on s’occupa de liquider l’affaire. C’était Boutigny qui avait terrifié Lazare, en lui présentant un relevé de situation désastreux. La dette montait à près de vingt mille francs. Quand il vit son associé décidé à se retirer, il déclara d’abord qu’il partait lui-même se fixer en Algérie, où l’attendait une position superbe. Puis, il voulut bien reprendre l’usine ; mais il semblait y apporter une telle répugnance, il compliqua tellement les comptes, qu’il finit par avoir les terrains, les constructions, les appareils, pour les vingt mille francs de dettes ; et Lazare, au dernier moment, dut considérer comme une victoire, de lui tirer cinq mille francs de billets, payables de trois mois en trois mois. Le lendemain, Boutigny revendait le cuivre des appareils, aménageait les bâtiments pour la fabrication en grand de la soude de commerce, sans aucune recherche scientifique, en plein dans la routine des méthodes connues.