Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/109

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que soir, pareille à une passion mauvaise, qui l’aurait épuisé, malgré sa raison. Durant le jour, d’ailleurs, tout l’y ramenait aussi, une phrase jetée au hasard, une pensée rapide, née d’une scène entrevue, d’une lecture faite. Comme Pauline lisait un soir le journal à son oncle, Lazare était sorti, bouleversé d’avoir entendu la fantaisie d’un conteur, qui montrait le ciel du vingtième siècle empli par des vols de ballons, promenant des voyageurs d’un continent à l’autre : il ne serait plus là, ces ballons, qu’il ne verrait pas, disparaissaient au fond de ce néant des siècles futurs, dont le cours en dehors de son être l’emplissait d’angoisse. Ses philosophes avaient beau lui répéter que pas une étincelle de vie ne se perdait, son moi refusait violemment de finir. Déjà, dans cette lutte, sa gaieté était partie. Lorsque Pauline le regardait, ne comprenant pas toujours les sauts de son caractère, aux heures où il cachait sa plaie avec une pudeur inquiète, elle éprouvait une compassion, elle avait le besoin d’être très bonne et de le rendre heureux.

Leurs journées traînaient dans la grande chambre du second étage, au milieu des algues, des bocaux, des instruments, dont Lazare n’avait pas même eu la force de se débarrasser ; et les algues tombaient en miettes, les bocaux se décoloraient, tandis que les instruments se détraquaient sous la poussière. Ils étaient perdus, ils avaient chaud, dans ce désordre. Souvent, du matin au soir, les averses de décembre battaient les ardoises de la toiture, le vent d’ouest ronflait comme un orgue par les fentes des boiseries. Des semaines entières passaient sans un rayon de soleil, ils ne voyaient que la mer grise, une immensité grise où la terre semblait fondre. Pauline, pour