Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/135

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

en avant des murs de galets, devaient compléter le système. On pourrait enfin, si l’on avait les fonds nécessaires, construire deux ou trois grandes estacades, vastes planchers établis sur des charpentes, dont les masses touffues couperaient la poussée des marées les plus hautes. Lazare avait trouvé l’idée première dans le Manuel du parfait charpentier, un bouquin aux planches naïves, acheté sans doute autrefois par le grand-père ; mais il perfectionnait cette idée, il faisait des recherches considérables, étudiait la théorie des forces, la résistance des matériaux, se montrait surtout très fier d’un nouvel assemblage et d’une inclinaison des épis, qui, selon lui, rendaient la réussite absolument certaine.

Pauline s’était encore une fois intéressée à ces études. Elle avait, comme le jeune homme, la curiosité sans cesse éveillée par les expériences qui la mettaient aux prises avec l’inconnu. Seulement, de raison plus froide, elle ne s’illusionnait plus sur les échecs possibles. Lorsqu’elle voyait la mer monter, balayer la terre de sa houle, elle reportait des regards de doute vers les joujoux que Lazare avait construits, des rangées de pieux, des épis, des estacades en miniature. La grande chambre en était maintenant encombrée.

Une nuit, la jeune fille resta très tard à sa fenêtre. Depuis deux jours, son cousin parlait de tout brûler ; un soir, à table, il s’était écrié qu’il allait filer en Australie, puisqu’il n’y avait pas de place pour lui en France. Et elle songeait à ces choses, tandis que la marée, dans son plein, battait Bonneville, au fond des ténèbres. Chaque secousse l’ébranlait, elle croyait entendre, à intervalles réguliers, le hur-