Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/137

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mais elle allait encore se croire indispensable, on aurait bien pu demander au père de Louise l’ouverture d’un crédit. Louise elle-même, qui avait une dot de deux cent mille francs, ne faisait pas tant d’embarras avec sa fortune. Ce chiffre de deux cent mille francs revenait sans cesse sur les lèvres de madame Chanteau ; et elle semblait avoir un dédain irrité contre les débris de l’autre fortune, celle qui avait fondu dans le secrétaire et qui continuait à fondre dans la commode.

Chanteau, poussé par sa femme, affecta aussi d’être contrarié. Pauline en éprouva un gros chagrin ; même en donnant son argent, elle se sentait moins aimée qu’autrefois ; c’était, autour d’elle, comme une rancune, dont elle ne pouvait s’expliquer la cause, et qui grandissait de jour en jour. Quant au docteur Cazenove, il grondait également, lorsqu’elle le consultait pour la forme ; mais il avait bien été obligé de dire oui, à toutes les sommes prêtées, les petites et les grosses. Sa mission de curateur restait illusoire, il se trouvait désarmé, dans cette maison où il était reçu en vieil ami. Le jour des douze mille francs, il renonça à toute responsabilité.

— Mon enfant, dit-il en prenant Pauline à l’écart, je ne veux plus être votre complice. Cessez de me consulter, ruinez-vous selon votre cœur… Vous savez bien que jamais je ne résisterai devant vos supplications ; et, vraiment, j’en souffre ensuite, j’en ai la conscience toute barbouillée… J’aime mieux ignorer ce que je désapprouve.

Elle le regardait, très touchée. Puis, après un silence :

— Merci, mon bon docteur… Mais n’est-ce pas le plus sage ? qu’importe, si je suis heureuse !