Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/138

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il lui avait pris les mains, il les serra paternellement, avec une émotion triste.

— Oui, si vous êtes heureuse… Allez, le malheur s’achète aussi bien cher quelquefois.

Naturellement, dans l’ardeur de cette bataille qu’il livrait à la mer, Lazare avait abandonné la musique. Une fine poussière retombait sur le piano, la partition de sa grande symphonie était retournée au fond d’un tiroir, grâce à Pauline, qui en avait ramassé les feuillets, jusque sous les meubles. D’ailleurs, certains morceaux ne le satisfaisaient plus ; ainsi la douceur céleste de l’anéantissement final, rendue d’une façon commune par un mouvement de valse, serait peut-être mieux exprimée par un temps de marche très ralenti. Un soir, il avait déclaré qu’il recommencerait tout, quand il en aurait le temps. Et sa flambée de désir, son malaise dans le continuel contact de la jeune fille, paraissait s’en être allé avec sa fièvre de génie. C’était un chef-d’œuvre remis à une meilleure époque, une grande passion également retardée, dont il semblait pouvoir reculer ou avancer l’heure. Il traitait de nouveau sa cousine en vieille amie, en femme légitime, qui se donnerait, le jour où il ouvrirait les bras. Depuis avril, ils ne vivaient plus si étroitement enfermés, le vent emportait la chaleur de leurs joues. La grande chambre était vide, tous deux couraient la plage rocheuse devant Bonneville, étudiant les points où les palissades et les épis devraient être installés. Souvent, les pieds dans l’eau fraîche, ils rentraient las et purs, comme aux jours lointains de l’enfance. Lorsque Pauline, pour le taquiner, jouait la fameuse marche de la Mort, Lazare s’écriait :

— Tais-toi donc !… En voilà des blagues.