Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/151

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écrasée par la fièvre, elle semblait anéantie ; et il n’y avait plus d’elle, dans le silence frissonnant de la pièce, que le raclement de son haleine, qui semblait se changer en un râle d’agonisante. La peur le reprit, irraisonnée, absurde : elle allait sûrement étrangler, si les secours n’arrivaient pas. Il piétinait d’un bout à l’autre de la chambre, consultait sans cesse la pendule. À peine trois heures, Véronique n’était pas encore chez le médecin. Le long de la route d’Arromanches, il la suivait dans la nuit noire : elle avait dépassé le bois de chênes, elle arrivait au petit pont, elle gagnerait cinq minutes en descendant la côte à la course. Alors, un besoin violent de savoir lui fit ouvrir la fenêtre, bien qu’il ne pût rien distinguer, dans cet abîme de ténèbres. Une seule lumière brûlait au fond de Bonneville, sans doute la lanterne d’un pêcheur allant en mer. C’était d’une tristesse lugubre, un abandon immense où il croyait sentir toute vie rouler et s’éteindre. Il ferma la fenêtre, puis la rouvrit pour la refermer bientôt. La notion du temps finissait par lui échapper, il s’étonna d’entendre sonner trois heures. À présent, le docteur avait fait atteler, le cabriolet filait sur le chemin, trouant l’ombre de son œil jaune. Et Lazare était si hébété d’impatience, devant la suffocation croissante de la malade, qu’il s’éveilla comme en sursaut, lorsque, vers quatre heures, un bruit rapide de pas vint de l’escalier.

— Enfin, c’est vous ! cria-t-il.

Le docteur Cazenove fit tout de suite allumer une seconde bougie, pour examiner Pauline. Lazare en tenait une, tandis que Véronique, dépeignée par le vent, crottée jusqu’à la taille, approchait l’autre, au chevet du lit. Madame Chanteau regardait. La