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LES ROUGON-MACQUART.

Elle avait sorti une timbale d’argent, déjà bossuée, qu’elle essuya avec sa serviette, et qu’elle posa devant Pauline. Puis, elle garda son sac derrière elle, sur une chaise. La bonne servait un potage au vermicelle, en avertissant de son air maussade qu’il était beaucoup trop cuit. Personne n’osa se plaindre : on avait grand faim, le bouillon sifflait dans les cuillers. Ensuite, vint le bouilli. Chanteau, très gourmand, y toucha à peine, se réservant pour le gigot. Mais, quand celui-ci fut sur la table, Il y eut une protestation générale. C’était du cuir desséché, on ne pouvait manger ça.

— Pardi ! je le sais bien, dit tranquillement Véronique. Fallait pas faire attendre !

Pauline, gaiement, coupait sa viande en petits morceaux et l’avalait tout de même. Quant à Lazare, il ne savait jamais ce qu’il avait sur son assiette, il aurait englouti des tranches de pain pour des blancs de volaille. Cependant, Chanteau regardait le gigot d’un œil morne.

— Et avec ça, Véronique, qu’est-ce que tu as ?

— Des pommes de terre sautées, monsieur.

Il fit un geste de désespoir, en s’abandonnant dans son fauteuil. La bonne reprit :

— Si Monsieur veut que je rapporte le bœuf ?

Mais il refusa d’un branle mélancolique de la tête. Autant du pain que du bouilli. Ah ! mon Dieu ! quel dîner ! Jusqu’au mauvais temps qui avait empêché d’avoir du poisson ! Madame Chanteau, très petite mangeuse, le regardait avec pitié.

— Mon pauvre ami, dit-elle tout d’un coup, tu me fais de la peine… J’avais là un cadeau pour demain ; mais, puisqu’il y a famine, ce soir…

Elle avait rouvert son sac et en tirait une terrine