Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/206

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— Tu exagères, murmura-t-elle.

— Comment ! j’exagère ! continua violemment Véronique. Ce n’est pas tant la question des sous qui me met hors de moi. Voyez-vous, ce que je ne lui pardonnerai jamais, c’est de vous avoir repris monsieur Lazare, après vous l’avoir donné… Oui, parfaitement ! vous n’étiez plus assez riche, il lui fallait une héritière. Hein ? Qu’en dites-vous ? on vous pille, puis on vous méprise, parce que vous n’avez plus rien… Non, je ne me tairai pas, mademoiselle ! On ne coupe pas aux gens le cœur en quatre, quand on leur a déjà vidé les poches. Puisque vous aimiez votre cousin et qu’il devait tout vous rembourser en gentillesse, c’est une franche abomination que de vous avoir encore volée de ce côté-là… Et elle a tout fait, je l’ai vue. Oui, oui, chaque soir, elle aguichait la petite, elle l’allumait pour le jeune homme, avec un tas d’affaires malpropres. Aussi vrai que cette lampe nous éclaire, c’est elle qui les a jetés l’un sur l’autre. Enfin, quoi ! elle aurait tenu la chandelle, histoire de rendre le mariage inévitable. Ce n’est pas sa faute, s’ils ne sont pas allés jusqu’au bout… Défendez-la donc, maintenant qu’elle vous a pilé sous ses pieds, et qu’elle est en cause que vous pleurez la nuit comme une Madeleine ; car je vous entends bien de ma chambre, j’en tomberai malade, de tous ces chagrins et de toutes ces injustices !

— Tais-toi, je t’en supplie, bégaya Pauline à bout de courage, tu me fais trop de peine.

De grosses larmes roulaient sur ses joues. Elle sentait que cette fille ne mentait pas, ses affections déchirées saignaient en elle. Chaque scène évoquée prenait une réalité vive : Lazare étreignait Louise défaillante, tandis que madame Chanteau veillait à