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LES ROUGON-MACQUART.

Madame Chanteau haussa une seconde fois les épaules.

— Toi, tu ferais mieux de t’en moquer un peu moins, et de ne pas perdre ton temps à des bêtises.

Dire que c’était elle qui lui avait appris le piano ! Rien que la vue d’une partition l’exaspérait aujourd’hui. Son dernier espoir croulait : ce fils qu’elle avait rêvé préfet ou président de cour, parlait d’écrire des opéras ; et elle le voyait plus tard courir le cachet comme elle, dans la boue des rues.

— Enfin, reprit-elle, voici un aperçu des trois derniers mois que Davoine m’a donné… Si ça continue de la sorte, c’est nous qui lui devrons de l’argent en juillet.

Elle avait posé son sac sur la table et en sortait un papier, qu’elle tendit à Chanteau. Il dut le prendre, le retourna, finit par le placer devant lui, sans l’ouvrir. Justement, Véronique apportait le thé. Un long silence tomba, les tasses restèrent vides. Près du sucrier, la Minouche, qui avait mis les pattes en manchon, serrait les paupières, béatement ; tandis que Mathieu, devant la cheminée, ronflait comme un homme. Et la voix de la mer continuait à monter au dehors, ainsi qu’une basse formidable, accompagnent les petits bruits paisibles de cet intérieur ensommeillé.

— Si tu la réveillais, maman ? dit Lazare. Elle ne doit pas être bien là, pour dormir.

— Oui, oui, murmura madame Chanteau, préoccupée, les yeux sur Pauline.

Tous trois regardaient l’enfant assoupie. Son haleine s’était calmée encore, ses joues blanches et sa bouche rose avaient une douceur immobile de bouquet, dans la clarté de la lampe. Seuls, ses