Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/264

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de fauteuil, son cœur battait dans sa nuque ; s’il s’asseyait, s’il se couchait, son cœur battait dans ses cuisses, dans ses flancs, dans son ventre ; et toujours, et toujours, ce bourdon ronflait, lui mesurait la vie avec le grincement d’une horloge qui se déroule. Alors, sous l’obsession de l’étude qu’il faisait sans cesse de son corps, il croyait à chaque instant que tout allait craquer, que les organes s’usaient et volaient en pièces, que le cœur, devenu monstrueux, cassait lui-même la machine, à grands coups de marteau. Ce n’était plus vivre que de s’entendre vivre ainsi, tremblant devant la fragilité du mécanisme, attendant le grain de sable qui devait le détruire.

Aussi les angoisses de Lazare avaient-elles grandi. Depuis des années, à son coucher, l’idée de la mort lui passait sur la face et lui glaçait la chair. Maintenant, il n’osait s’endormir, travaillé de la crainte de ne plus s’éveiller. Il haïssait le sommeil, il avait horreur de sentir son être défaillir, lorsqu’il tombait de la veille au vertige du néant. Puis, ses réveils brusques le secouaient davantage, le tiraient du noir, comme si un poing géant l’avait saisi aux cheveux et rejeté à la vie, avec la terreur bégayante de l’inconnu dont il sortait. Mon Dieu ! mon Dieu ! il fallait mourir ! et jamais encore ses mains ne s’étaient jointes dans un élan si désespéré. Chaque soir, son tourment devenait tel, qu’il préférait ne pas se mettre au lit. Il avait remarqué que, le jour, s’il s’allongeait sur un divan, il s’endormait sans secousse, dans une paix d’enfance. C’étaient alors des repos réparateurs, des sommeils de plomb, qui achevaient malheureusement de gâter ses nuits. Peu à peu, il en arrivait à des insomnies réglées,