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LA JOIE DE VIVRE.

sement tous les pouvoirs nécessaires. On a levé les scellés, fait l’inventaire de la fortune, vendu aux enchères la charcuterie. Oh ! une chance ! deux concurrents enragés, quatre-vingt-dix mille francs payés comptant ! Le notaire avait déjà trouvé soixante mille francs en titres dans un meuble. Je l’ai prié d’acheter encore des titres, et voici cent cinquante mille francs de valeurs solides que j’ai été bien contente d’apporter tout de suite, après avoir remis au maître-clerc la décharge du mandat et le reçu de l’argent, dont je t’avais demandé l’envoi par retour du courrier… Tenez ! regardez ça.

Elle avait replongé sa main dans le sac, elle en ramenait un paquet volumineux, le paquet des titres, serré entre les deux feuilles de carton d’un vieux registre de la charcuterie, dont on avait arraché les pages. La couverture, à grandes marbrures vertes, était piquetée de taches de graisse. Et le père et le fils regardaient cette fortune, qui tombait sur le tapis usé de leur table.

— Le thé va être froid, maman, dit Lazare en lâchant enfin sa plume. Je le verse, n’est-ce pas ?

Il s’était levé, il emplissait les tasses. La mère n’avait pas répondu, les yeux fixés sur les titres.

— Naturellement, continua-t-elle d’une voix lente, dans une dernière réunion du conseil de famille, que j’ai provoquée, j’ai demandé à être indemnisée de mes frais de voyages, et l’on a réglé la pension de la petite chez nous à huit cents francs… Nous sommes moins riches qu’elle, nous ne pouvons lui faire la charité. Aucun de nous ne voudrait gagner sur cette enfant, mais il nous est difficile d’y mettre du nôtre. On replacera les intérêts de ses rentes, on lui doublera presque son capital, d’ici à sa majorité… Mon Dieu !