Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/279

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désespéré, avec la haine et le mépris du troupeau humain. Les deux heures de bonnes œuvres finissaient par le rendre mauvais, niant l’aumône, raillant la charité. Et il criait qu’il serait sage d’écraser à coups de talon ce nid d’insectes nuisibles, au lieu de l’aider à grandir. Pauline l’écoutait, surprise de sa violence, très peinée de voir qu’ils ne sentaient pas de la même façon.

Ce samedi-là, quand ils furent seuls, le jeune homme laissa échapper toute sa souffrance dans une phrase.

— Il me semble que je sors d’un égout.

Puis, il ajouta :

— Comment peux-tu aimer ces monstres ?

— C’est que je les aime pour eux et non pour moi, répondit la jeune fille. Tu ramasserais bien un chien galeux sur une route.

Il eut un geste de protestation.

— Un chien n’est pas un homme.

— Soulager pour soulager, n’est-ce donc rien ? reprit-elle. Il est fâcheux qu’ils ne se corrigent pas, car leur misère diminuerait peut-être. Mais, quand ils ont mangé et qu’ils ont chaud, eh bien ! cela me suffit, je suis contente : c’est toujours de la douleur de moins… Pourquoi veux-tu qu’ils nous récompensent de ce que nous faisons pour eux ?

Et elle conclut tristement :

— Mon pauvre ami, je vois que ça ne t’amuse guère, il vaut mieux que tu ne m’aides plus… Je n’ai pas envie de te brouiller le cœur et de te rendre plus méchant que tu n’es.

Lazare lui échappait, elle en fut navrée, convaincue de son impuissance à le tirer de sa crise d’épouvante et d’ennui. Lorsqu’elle le voyait si ner-